homélie du dimanche 30 novembre – frère Benoît Ente – évangile selon saint Matthieu 24,37-44
Ma première année comme frère dominicain, quand j’étais novice à Strasbourg, j’ai pris au sérieux la parole de Jésus, mais de manière un peu trop littérale. La nuit, je me levais pour aller prier seul dans l’église du couvent. Le lendemain, j’étais tellement épuisé que je tenais à peine debout ou à peine assis, surtout pendant le temps de lectio où nous devions méditer la Bible. J’ai compris une chose qui va vous paraître évidente, quand Jésus demande de veiller, il ne demande pas de se priver de sommeil. Le mot dans sa bouche a un autre sens. Je vous propose de nous y arrêter pour essayer de comprendre un peu mieux ce qu’il peut bien signifier. C’est d’autant plus important que ce terme revient souvent : dans les trois premiers évangiles, dans les lettres de Paul, de Pierre et même dans l’Apocalypse.
Dans l’évangile d’aujourd’hui, quand Jésus fait référence au déluge, il semble critiquer ceux qui mangent, boivent, se marient. Ce ne sont pas ces activités qui posent problème. Jésus a participé aux noces de Cana, il est souvent invité à des repas au point qu’il a une réputation de glouton et d’ivrogne. La critique de Jésus porte sur ce cas précis où nous réduisons la vie à manger, boire, se marier SANS VOIR PLUS LOIN. Dieu ne nous a pas donné la vie seulement pour cela. Il y a un autre projet. Frères et sœurs, nous ne sommes pas des hamsters enfermés dans l’aquarium terrestre que Dieu observe pour tromper sa solitude. Un mystère entoure chaque vie humaine, entendez le bien, un mystère entoure CHAQUE VIE HUMAINE, le mystère d’une vocation divine.
Dieu veut faire de nous ses enfants. On a peine à y croire. Comment cela est-il possible ? Je vous rassure, nous ne sommes pas chez Harry Potter. Nous n’avons pas à chercher dans un vieux grimoire une formule ou une potion magique pour opérer la transformation. Nous devenons enfants de Dieu de la manière la plus simple, la plus commune qui soit, par une naissance, un enfantement à une vie nouvelle. C’est un processus long qui prend bien plus que 9 mois. C’est un processus qui prend même… toute la vie. Exactement comme l’enfant se forme dans le sein de sa mère, la vie divine grandit en nous peu à peu, miracle d’une présence divine qui se fait jour en nous et discrètement, nous transfigure.
Veiller en grec se dit γρηγορεύω qui vient du verbe ἐγείρω « se réveiller » « se lever », le verbe qui dit la résurrection de Jésus. Veiller, cela ne veut pas dire rester là sans rien faire, mais au contraire, cela signifie se lever et se mettre en route. Vivre dès maintenant de la vie du Ressuscité ou plutôt accompagner la vie du Ressuscité qui peu à peu grandit en nous. Et les coups durs, les échecs, les chutes n’y peuvent rien. Au contraire, toutes ces épreuves vécues avec le Christ, vont promouvoir cette croissance. Quand Jésus parle du Fils de l’homme qui vient, il ne parle pas d’une apparition grandiose dans le ciel que nous devrions attendre patiemment. Il parle de cette naissance à la vie divine à laquelle nous sommes TOUS appelés.
Veiller, c’est le mot d’ordre pour ce premier dimanche de l’Avent. Veiller, c’est-à-dire déverrouiller la porte de notre cœur et y laisser entrer le Christ. Veiller, c’est cultiver une vie intérieure intense, quotidienne, avec notre Seigneur. Veiller, c’est croire de toute notre force que dans ce cœur à cœur avec Dieu, grandit jour après jour la semence d’éternité reçue lors de notre baptême. La sobriété du temps de l’Avent est là pour nous rappeler l’essentiel de notre mission sur la terre : naître, renaître à la vie divine.
Dans l’Évangile de Jean, on ne trouve pas le terme « veiller ». Le disciple bien aimé a choisi un autre mot plus évocateur : demeurer. Veiller, c’est demeurer avec le Christ, demeurer dans son amitié et désirer son amour. Quand un ami ou un conjoint demeure dans notre cœur, il ne nous surprend jamais, il est toujours bienvenu. De même, frères et sœurs, que le Christ demeure dans notre cœur et il ne nous surprendra pas, au contraire, sa venue nous réjouira, de cette joie sainte d’une naissance, la joie de Noël. Amen.
